« (-…) Hallali – où semble aboutir et se condenser le long processus d’élaboration d’une esthétique propre, mais aussi d’un rapport au monde tout à fait singulier – renvoie à tous les massacres : aux guerres, aux génocides du siècle qui nous précède comme à ceux qui pourraient nous attendre, ou à l’inéluctable extinction des espèces ; et au genre du Stillleben ou de la nature morte, voire à un détournement de la « Sainte Cène » ; ou encore, à ces joyeux tableaux de l’Ecole hollandaise (il y en a un, de Jan Victors, au Musée d’Art d’Histoire de Genève) où l’on voit des enfants s’amuser à gonfler des vessies pour s’en faire un ballon – mais à côté d’un bœuf écorché ; ce qui fait osciller la représentation entre peinture de genre et vanité

Une telle superposition de tonalités, de références ou de lectures possibles, et les sentiments contradictoires qui lèvent en nous face à la déroutante installation (disposée en outre au cœur d’une chambre noire, comme celle des photographes) font la grande force de cette œuvre ambiguë, fascinante, dérangeante, mais aussi d’une beauté comme surréelle… et peut-être non dénuée d’humour.

L’art (Baudelaire, encore) commémore « la mémoire du présent » en le coagulant dans une forme. Mais cette forme est déjà coagulation d’images qui hantent la mémoire de l’artiste, le travaillant parfois à son insu ; et à l’autre bout de la chaîne – au point de rencontre entre l’œuvre et un regard –, elle aura fonction de révélateur : à chacun, chacune, d’assumer dès lors la responsabilité d’un sens. Ou de ses propres fantasmes.

Si Muriel Zeender est poète, c’est aussi parce qu’elle n’impose aucune lecture. Ne raconte rien. Le trouble qui nous saisit, elle ne le résoudra pas, ni même ne le commentera. Laissant le champ libre aux émotions, aux sensations, et à l’interprétation, elle nous provoque plutôt, à notre tour, à la métamorphose. » (Sylviane Dupuis, « Poète, Muriel Zeender », Lachesis, Muriel Zeender, publication en marge de l’exposition par le Musée de Morat, 2023.